mercredi 3 décembre 2014

Kafka, une problématique vécue de la promesse

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En commentaire de cet article et du précédent ["Nietzsche beauté de la promesse" et "La Vie trahit-elle ses promesses ?"], nous pourrions poser :
Nietzsche :  mots vs silence (« Faites-vous donc donner la main en mettant un doigt sur la bouche, - c'est ainsi que vous faites les vœux les plus sûrs. »)
Mais qu’en est-il « DU mot » ?
                                                                              * * *
On peut – partiellement - lire en ligne des pages de Sept méditations sur Kafka d’Àlvaro de la Rica (Collection Arcades n° 109, Gallimard paru au mois d’octobre 2014), préfacé par Claudio Magris  (préface lisible dans sa totalité), dont on ne doit ignorer le titre original espagnol, Kafka y el holocausto, livre qui, soit dit en passant, résonne par son exergue (p.15) attribué à Franz Kafka avec le « faites-vous donc tenir la main » plus haut rappelé de Nietzsche.

Or, si ce dernier voit dans les mots un affaiblissement de la promesse, qu’il ancrerait donc dans un langage en quelque sorte sublimé, il en va autrement dans l’essai d'Àlvaro de la Rica qui, sur un autre plan que celui de la morale individuelle et la réflexion notionnelle, axe partie de son propos (pour ce qu’il est possible d’en connaitre à la lecture de ces quelques pages), sur les fiançailles de Kafka avec Felice Bauer. Celles-ci, célébrées dans la plus pure tradition juive en juin 1914, seront rompues par l’auteur de Devant la Loi au mois de septembre. 

Alvaro de la Rica précise à ce propos l’importance de la démarche, en ce que « cette parole solennelle donnée en public, le vort de la langue et de la culture yiddish », est fondation de la « confiance mutuelle dans la parole donnée, signe de l’engagement de Dieu avec son peuple. »

A l’évidence, le registre de la promesse est ici différent, puisqu’il est de nature socioreligieuse et non plus seulement interpersonnel et moral. L’individu se reconnaît, par cet engagement censé mener au mariage, membre d’une nation fondée en droit, ainsi qu’adhérent aux critères  d’une communauté de croyants. Il se lie de la sorte institutionnellement, et est susceptible de devoir en répondre devant un juge ou une instance religieuse. Selon le résumé présenté de l’ouvrage de l’écrivain espagnol,
Les Sept méditations sur Kafka reviennent aussi sur le rapport conflictuel qui existe pour Kafka entre l’art et la vie. La conception quasi-religieuse de l’écriture – comme un devoir, une faute, ou un péché qu’il ne parvient pas à expier – la transforme en drame quotidien selon de la Rica, mais cette attitude l’amène également à une distance et donc à une réflexion constante sur notre réalité.
Il conclut à propos de la Loi (et c’est là qu’est soulignée l’originalité de cette étude) qu’elle est
à la fois promesse, frustration et vertige pour Kafka, et cette complexité constitue sans aucun doute l’une des clefs pour cerner au mieux la puissance d’une œuvre singulière et comparable à nulle autre dans son siècle.
S’opère alors comme un retournement dans la réflexion : la promesse (ici les fiançailles) est faite selon la tradition (loi hébraïque et code civil national), puis reniée - mais en aucun cas balayée ; elle reste problématique et source potentielle, si l’on en croit le critique, d’un sens jusqu’alors caché.

NB : Dans ce qui semble une seconde lettre de rupture destinée au père de Felice Bauer, lettre dont Kafka reporte un brouillon le 21 août 1913 de son Journal, ceci après un premier engagement avec la jeune femme, il n’est pas fait mention d’une rupture de promesse dont l’écrivain devrait se faire pardonner ; les arguments avancés portent principalement sur des traits de sa personnalité, le montrant comme inapte au mariage. Reste à savoir si Kafka aurait recours à cette notion ailleurs.

PERMI4
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  • On peut lire une critique développée de l’ouvrage d’Àlvaro de la Rica en date du 8  novembre sur le blog Stalker de Juan Asensio : Lien
  • En commentaire d’autre nature de Devant la Loi, l’article « Devant la Loi : le judaïsme subversif de Franz Kafka » par Michael Löwy, directeur de recherche au CNRS et enseignant à l’École des hautes études en sciences sociales : Lien.

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